Animé par Emile KENMOGNE, Docteur en philosophie et HDR, enseignant à l’Université de Yaoundé I, avec la contribution des enseignants de Fustel, du vice président de l'AGPE, des élèves de premières et terminales L, ES, STG, S, et d'invités extérieurs
Les publicitaires nous promettent régulièrement le bonheur à travers l'achat de multiples biens de consommation et services mais le bonheur peut-il s'acheter ? Définir le bonheur est un vrai défi d'un point de vue philosophique car chacun en a une conception personnelle, surtout en ce qui concerne ce qui peut nous rendre heureux, or une définition est censée être universelle. Disons que le bonheur est avant tout un état d'esprit, car même s'il est dû à des choses matérielles, il concerne la conscience « le bonheur est une pensée heureuse » comme l'écrit le philosophe Comte-Sponville.
Acheter, c'est échanger quelque chose contre de l'argent, cela supposerait que le bonheur est évaluable d'un point de vue économique. Ce qui laisse l'impression que tout s'achète, tels la beauté, l'accès aux services de rencontre (donc l'amour?), les techniques de procréation assistée ou des organes dans certains pays, etc. D’où l’intérêt de la question : le bonheur peut il faire l'objet d'un échange marchand ?
Tout s'achète, alors pourquoi pas le bonheur ?
Le sens commun souscrirait à cette idée que le bonheur s'achète car comment prétendre être heureux quand on est miséreux, c'est à dire qu'on cumule les critères de pauvreté ? Si certains mystiques, tel Boudha, ou marginaux, prétendent le contraire, ils nous semblent être des exceptions qui ne concernent pas le commun des mortels.
En effet l'argent est un objet de désir universel car son obtention permet de satisfaire tous les désirs or quelle définition la plus simple peut-on donner du bonheur sinon le fait de satisfaire ses désirs ?
Mais l'homme n'est il pas un être insatiable, véritable tonneau des Danaïdes, qui ne peut jamais se remplir, être comblé, car il est percé, c'est à dire qu'un désir nouveau vient chasser le désir satisfait ?
Epicure, philosophe grec du troisième siècle avant Jésus Christ apporte à ce titre une distinction pertinente entre nos différents désirs. Seuls les désirs naturels et nécessaires peuvent nous apporter une paix de l'âme, ou ataraxie, le véritable bonheur en fait, car ils sont faciles à satisfaire (inutile d'être riche pour manger à sa faim) et se limitent naturellement si on sait être à l'écoute de son corps. Le désir de richesse est l'exemple type à l'inverse du désir non naturel et non nécessaire, à proscrire. L'argent nous semble en fait alléger les contraintes quand les aléas pèsent sur notre vie. Si on est malade ou handicapé, l'argent permettra d'adoucir la souffrance liée à ces accidents . Mais cela suffit-il à nous rendre heureux ?
Etre heureux, un état d'esprit qui n'a pas de prix ?
On ne peut définir précisément ce qui peut rendre un être raisonnable heureux, comme l'écrit Kant, philosophe allemand des Lumières, car pour cela il faudrait être omniscient, notamment connaître notre futur. En effet on suppose que la richesse nous rendra heureux mais il peut attirer la convoitise, la jalousie d'autrui, les faux amis, les éventuelles arnaques et à coup sûr l'angoisse de le perdre. A l'inverse, le bonheur peut surgir de manière aléatoire sans l'avoir planifié : un vieil ami revu par hasard, une passion soudaine pour l'art ou la philosophie. Bref, le bonheur ne se laisse pas enfermer dans une définition ou planification, c'est ce qui fait sa rareté et son mystère.
On peut néanmoins essayer de définir les conditions nécessaires au bonheur, à savoir la conscience, la liberté et la volonté d'être heureux car à quoi sert d'être heureux si on ne le sait pas, comme le chat qui ronronne, et comment l'être si on ne peut pas choisir son existence, sachant que la liberté est définie comme une pensée non entravée, même si le corps est prisonnier. C'est la liberté des stoïciens dont il est question ici. Epictète, tout esclave qu'il était a ainsi trouvé son bonheur dans la philosophie alors même que son maître le faisait souffrir. Faire dépendre son bonheur de l'argent, c'est le soumettre aux aléas qui concernent tous les biens extérieurs : on peut en être privé.
Ainsi même une publicité pour carte bleue admettait « pour tout ce qui s'achète, utilisez la carte X », mais pour le reste, débrouillez vous. De même un élève a récemment écrit dans une copie de baccalauréat « un chèque de 1000 euros ne remplacera jamais un père absent ».
En définitive le bonheur apparaît comme une quête spirituelle que l'argent ne peut garantir : penser que le bonheur s'échange contre de l'argent, c'est penser que l'esprit et la matière sont commensurables (qu'ils peuvent se comparer et se mesurer). Le bonheur est un idéal exigent qui ne peut se confondre avec le plaisir, plus sensuel et limité dans le temps, que l'argent peut offrir.
En définitive ce café philo n'a pas épuisé la question, car nous n'avons pas abordé l'idée d'échange sous entendu dans le sujet, ni développé tous les présupposés d'un bonheur qui s'achète (où s'achète-t-il, quel est son prix, qui le vend ?). Mais l'examen de ces présupposés nous auraient fait aboutir à la même conclusion : le bonheur transcende l'échange marchand de par sa nature spirituelle et imprévisible. C'est la raison pour laquelle les sagesses antiques, telles le stoïcisme et l'épicurisme ont préféré viser la paix de l'âme, plutôt qu'un bonheur tributaire des biens extérieurs et des aléas. Mais le bonheur doit-il être après tout le but de toutes nos actions ? « Mieux vaut être Socrate insatisfait qu'un porc satisfait » écrivait ainsi le philosophe anglais Mill. Et si on découvrait après tout le bonheur au moment où on s'y attend le moins, l’argent aurait-il la moindre importance ?
Merci à tous les participants plus nombreux que jamais, les interventions étaient riches et cultivées, rendez vous en mars ou avril pour une dernière rencontre qui pourra porter surle mensonge.
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